Ces femmes victimes du conflit colombien

Ingrid Betancourt, ancienne candidate écologiste à la présidence colombienne, est tenue en otage par les rebelles depuis plus de deux ans. Il y a un mois, une militante pour les droits humains, Luz Perly Cordoba, a été arrêtée par les forces de l'ordre. Ces deux histoires ne sont que la pointe visible de l'iceberg. En Colombie, les femmes sont de plus en plus exposées aux ravages provoqués par la guerre civile.

par Guido Piccoli
9 mars 2004

Ingrid Betancourt est devenue un symbole international. Depuis le 23 février 2002, le jour où elle a été enlevée par les rebelles des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), la quadragénaire écologiste colombienne a été élue « citoyenne honoraire » dans plus de mille villes du monde. L'ancienne candidate écologiste à la présidence de son pays s'est vu décerner des dizaines de prestigieuses récompenses, et elle est pressentie pour le Prix Nobel de la paix. Revers de la médaille, une mobilisation aussi imposante en faveur de Mme Betancourt a eu pour effet d'embarrasser beaucoup de monde en Colombie. A tel point que, afin de rabaisser sa personne, certains journaux l'ont malicieusement surnommée la « Rigoberta Menchu des riches ».

Arrestation politique

Ce sont par ailleurs ces mêmes journaux qui ont passé sous silence l'arrestation - pour « rébellion » - de Luz Perly Cordoba, le 18 février dernier. Cette responsable pour les droits humains à la Fédération paysanne du syndicat unitaire (FENSUAGRO) est aussi l'une des dirigeantes de l'Association paysanne de la région d'Arauca, département déclaré « zone militaire » par une décision du président colombien, Alvaro Uribe.

De Londres, Amnesty International a aussitôt demandé la libération de Mme Cordoba. Dans son communiqué, l'organisation a dénoncé l'emprisonnement de la militante, effectué, selon elle, dans le cadre d'« une stratégie bien coordonnée et planifiée, dont le but est de faire taire le mouvement pour les droits de l'homme ». Pris à partie, visiblement irrité par cette intervention, le Gouvernement colombien a riposté en accusant de sectarisme l'organisme humanitaire.

Ingrid Betancourt et Luz Perly Cordoba sont aujourd'hui les victimes les plus en vue d'un conflit qui dure depuis quarante ans, dans lequel les femmes sont de plus en plus exposées. Elles subissent toutes sortes de représailles et font souvent l'objet de violences sexuelles. Selon un rapport de l'administration états-unienne, ces derniers mois, un groupe de soldats antiguérilla a violé et tué nombre d'entre elles dans la région d'Arauca, sous surveillance militaire.

Réintégrer les rebelles ?

En général, ceux qui sèment la mort dans le pays en procédant à des massacres de masse le font une liste à la main et séparent, à cet effet, les femmes et les enfants des hommes. Mais il n'y a pas de distinction de sexe lorsqu'il s'agit d'assassinats ciblés ou de combats rangés. Cela vient aussi du fait que, dans le conflit colombien, la présence féminine est en nette hausse. Et bien qu'aucune d'entre elles ne fasse partie de la Comandancia, les femmes représentent désormais la moitié des guérilleros des FARC. Les histoires d'Ingrid et de Luz Perly révèlent les misères d'une guerre civile qui, pour l'heure, semble sans solution. Pour sa part, séquestrée par les rebelles ayant cyniquement profité de son voyage électoral dans une zone qu'ils contrôlaient, Mme Betancourt est devenue, au fil des mois, une véritable épine dans le pied du gouvernement de Bogota. Car elle continue de multiplier ses courageux appels au dialogue, à la paix et à la justice sociale. Selon sa famille, M. Uribe souhaiterait plutôt payer une improbable (et insensée pour les rebelles) rançon, en lieu et place d'une négociation avec la guérilla. Mais, toujours selon ses proches, il ne serait pas content de la voir vivante et libre, étant donné qu'elle se battrait de toutes ces forces pour réintégrer les FARC dans la vie civile, ce que le président colombien ne veut pas.

Dégradation de la justice

Si le drame de Mme Betancourt révèle, d'une part, la cruauté des enlèvements effectués par l'organisation de Manuel Marulanda, dit « Tirofijo », vieux paysan rusé et principal dirigeant des FARC, il jette surtout une lumière crue sur le fanatisme de M. Uribe. Ce dernier est agacé par la mobilisation internationale en faveur de la célèbre prisonnière - un mouvement qui se déploie sous l'égide de la France, deuxième patrie d'Ingrid, qui possède la double nationalité franco-colombienne.

D'autre part, l'arrestation de Luz Perly Cordoba pourrait enfin permette d'éclairer l'état de « dégradation éthique » dans lequel la justice colombienne est tombée. Celle-ci est devenue une sorte d'usine au service de l'armée et des paramilitaires, où sont réalisés toutes sortes de « montages juridiques » : de l'utilisation, éhontée, de témoins corrompus aux arrestations intimidatrices de masse, en passant par l'enterrement d'enquêtes indésirables ou l'éloignement forcé de juges honnêtes.

En toile de fond, il y a la tentative de démanteler la démocratie colombienne. A cette fin, M. Uribe a placé ses hommes aux postes-clés de la magistrature, parvenant même à occuper les institutions en charge de la protection des droits humains. Et, malgré les ultimes résistances de la Cour constitutionnelle, il est en train d'abolir, dans les faits, le principe démocratique de la division des pouvoirs.

« Honte internationale »

« Une honte internationale. » C'est en ces termes qu'un groupe d'europarlementaires irlandais a qualifié la justice colombienne. Il y a un mois, ils s'étaient rendus au pays de M. Uribe pour solliciter l'ouverture du procès contre trois membres du Sinn Fein, le bras politique de l'IRA (l'Armée républicaine irlandaise). Depuis deux ans, ces militants sont emprisonnés sous l'accusation, paradoxale, d'avoir prodigué un cours sur les explosifs aux guérilleros des FARC, notoirement plus compétents en la matière que les combattants irlandais. Selon le quotidien El Tiempo du 27 février dernier, le gouvernement de Washington est tellement scandalisé par cette situation qu'il a imposé à M. Uribe de révoquer certains juges, dont on sait qu'ils sont à la solde des paramilitaires et des trafiquants de drogue.

Parmi ceux qui, en revanche, ne semblent pas s'être aperçus de cette réalité, il y a le Gouvernement italien et quelques-unes de ses plus hautes personnalités - comme le procureur national antimafia Pierlugi Vigna -, qui continuent à accorder du crédit à la justice colombienne. Ils ont probablement été sensibles à la décision de M. Uribe de rebaptiser les nouvelles unités de la police judiciaire par le nom du juge Giovanni Falcone, tué par la mafia en Sicile le 23 mai 1992. Ou alors ils sont simplement, et coupablement, désinformés.

Source : Il Manifesto, 05-03-04.
Traduction et adaptation pour Le Courrier : Fabio Lo Verso.

 
Lo agrario Derechos humanos Plan Colombia Movimientos sociales Desarrollo regional Opinión Internacional Contáctenos Últimas Noticias Conflicto Medio ambiente ¿Qué es Prensa Rural?