Des militaires colombiens menacent des coopérants canadiens en affirmant que leurs «alliés paramilitaires viendront leur couper la tête»

par Projet Accompagnement Solidarité Colombie
Montréal, 15 octobre 2005

Des membres de la Brigade militaire XVII déclarent que des troupes paramilitaires attaqueront sous peu les communautés paysannes et couperont les têtes des accompagnateurs internationaux qui travaillent dans les zones humanitaires du Jiguamiando, (département du Choco, Colombie). Les menaces de mort ont été proférées devant les coopérants canadiens du Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), ONG basé à Montréal et les membres des Brigades de Paix Internationale (PBI).

Trois Canadiens et Canadiennes du PASC assurent actuellement une présence internationale dans les trois zones humanitaires de la région afin de veiller au respect de ces lieux humanitaires par les acteurs armés. Bien que ces zones humanitaires soient protégées par des recommandations édictées par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, l’opération militaire qui se déploie est dirigée contre la population civile et viole systématiquement les principes du droit humanitaire international. En moins de 15 jours, des unités de la Brigade XVII des Forces armées nationales de Colombie, ont détruit les délimitations de deux zones humanitaires (Bella Flor Remacho le 25 septembre et Nueva Esperanza le 10 octobre). Ils ont saccagé les clôtures et les bannières des ONGs qui délimitent les zones humanitaires en tant que lieu exclusif de la population civile, interdit d’accès à tout acteur armé (militaire, paramilitaire et guérilla). Toute cett e répression a pour objectif d’obliger les paysans à accepter le projet agro-industriel de palme africaine qui a été implanté illégalement sur leur territoire ancestral, déplore Tania Hallé, membre du PASC de retour de Colombie. Les militaires protègent les plantations illégales de palme, qui continuent d’avancer dangereusement en direction des zones humanitaires.

Lors de leurs incursions armées, relate Guillaume Côté coopérant du PASC, les militaires ont dit agir sous ordre de la présidence. Après avoir vandalisé des maisons et des récoltes et volé du bétail, celui qui semblait le chef de l’unité militaire s’est adressé aux internationaux et nous a dits que nous n’avions pas à avoir peur d’eux [les militaires] mais que, par contre, leurs alliés paramilitaires arriveraient d’ici trois jours pour massacrer les gens des communautés qui n’auraient pas quitté la région et couper la tête des internationaux.

Hier, vendredi 14 octobre, les militaires se sont retirés de la région qui est devenu inhabituellement calme. Trop calme, précise Danilo Rueda de l’ONG colombienne Justicia y Paz qui accompagne ces communautés afrocolombiennes depuis plusieurs années. En Colombie, nous disons que les massacres sont toujours annoncés d’avance. Avant que des massacres soient commis par les paramilitaires, les troupes régulières de l’Armée se retirent toujours pour laisser le champ libre aux paramilitaires qui réalisent leur sale besogne. Nous sommes donc très inquiets.

Le plus ironique, raconte Tania Hallé, c’est que lorsque j’étais dans les zones humanitaires, il m’est arrivé de voir une incursion paramilitaire dirigée par un officiel de l’Armée. Alors que tous les hommes armés portaient un brassard des AUC, le Commandant de l’opération portait lui un brassard du Batallion Voltijeros, de la Brigade XVII de l’Armée National e. Lors des incursions paramilitaires, les gens des communautés reconnaissent souvent des militaires qui troquent simplement leurs uniformes de l’Armée pour ceux des AUC. [Les AUC, Autodefensas Unidas de Colombia, regroupent la majorité des troupes paramilitaires du pays.].

Notre seule défense réside dans les pressions internationales, rappelle Guillaume Côté, nous avons averti l’Ambassade canadienne à Bogota et le PASC a contacté plusieurs ONGs pour accentuer les pressions sur le gouvernement colombien afin qu’il respecte les zones humanitaires. Le rôle des médias étrangers est également crucial. Nous, les canadiens, nous avons peur que l’Armée exécute sa menace et envoie ses troupes paramilitaires, car nous savons que notre présence dérange, mais si nous quittons la région, nous pouvons être sûrs que des massacres auront lieu en toute impunité, comme c’était le cas avant que le mécanisme d’accompagnement international soit mis en place.

Les zones humanitaires et l’accompagnement international

Conformément au droit humanitaire international, les zones humanitaires symbolisent les principes de distinction et de protection de la population civile vivant au sein d’un conflit armé. Ces zones sont interdites d’entrée à tout acteur armé. L’accompagnement international que réalise le PASC, en collaboration avec l’ONG colombienne Justicia y Paz, est un mécanisme de protection pour la population civile qui vise à assurer le respect des lieux humanitaires par les acteurs armés. Les trois zones humanitaires du Jiguamiando (Bella Flor Remacho, Nueva Esperanza et Pueblo Nuevo) ont été créées en 2000.

Les communautés afrocolombiennes du Jiguamiando : histoire d’un déplacement forcé

La région du Jiguamiando est habitée par des communautés afrodescendantes pratiquant l’agriculture de subsistance et l’élevage. En 1997, les forces armées nationales de Colombie ont déployé dans la région du Cacarica et du Jiguamiando (département du Choco) une large opération armée intitulée « Genesis ». Pendant que des avions militaires bombardaient les habitations de la population civile, les troupes paramilitaires terrorisaient les paysans pour les forcer à abandonner leurs terres. Ils jouaient au soccer avec les têtes coupées des victimes avant de les embrocher sur des bâtons qu’ils plantaient devant nos villages, raconte Ali Orjuela, un membre des communautés du Cacarica qui participait à une tournée d’informations au Québec en septembre 2005. Cette opération armée a causé le déplacement forcé de près de 10 000 afro colombiens qui ont dû s’entasser dans des camps de réfugiés. En 2000, les communautés, accompagnées d’ONGs na tionales et internationales, ont organisé le retour sur leurs terres en créant des zones humanitaires pour assurer leur protection en tant que population civile. À ce jour, les crimes commis lors de l’Opération Genesis restent impunis. Alors que les déplacements de la population civile sont l’objet d’un contrôle abusif, les acteurs armés responsables des massacres se déplacent librement passant sans tracas les nombreux postes de contrôles militaires.

Le Bassin du Jiguamiando : une région à hauts intérêts économiques

Alors que nous vivions comme des réfugiés après l’Opération Genesis, nous ne comprenions pas pourquoi les militaires s’en étaient pris à nous qui n’étions que de pauvres paysans, poursuit Ali Orjuela. Lorsque nous avons organisé le retour sur nos terres ancestrales, nous avons compris. Des plantations de palme africaine avaient été semées sur nos terres et ces plantations, appartenant à une entreprise étrangère, étaient protégées par la Brigade XVII et les paramilitaires.

En effet, bien que les communautés afrocolombiennes détiennent un titre de propriété collective sur leur territoire (conformément à la loi 70 de Colombie), un méga projet agro industriel de monoculture d’exportation se développe actuellement via l’appropriation illégale de leurs terres pour la déforestation puis l’ensemencement de palme africaine. Ce projet, qui implique le vol des terres des communautés, est protégé par les unités militaires de la Br igade XVII de l’Armée nationale lesquelles agissent de concert avec les troupes paramilitaires de la région afin de procéder à l’appropriation des terres et à l’élimination des opposants au projet. Mentionnons en outre que ce projet dit « de développement » s’encadre dans le processus actuel de démobilisation des paramilitaires. Des parcelles de terres destinées à l’ensemencement de palme africaine sont octroyées aux acteurs « démobilisés » en tant que moyen de « réinsertion ». Sur le terrain, explique Tania Hallé, ce sont souvent les mêmes personnes qui, en tant que paramilitaires, ont procédé au déplacement forcé des paysans qui reçoivent dans le cadre de leur démobilisation les parcelles de terres de leurs victimes. Cette situation exprime bien l’hypocrisie de la loi dite de « Justice et Paix » qui envenime le conflit en légalisant l’impunité, conclut Tania Hallé. [Approuvé par le Congrès le 22 juin 2005, La loi de Justice et Paix encadre le processus de démobilisation des paramilitaires.]

Contact média : Tania Hallé. cell. (514) 966-8421

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