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Je ne suis pas Charlie
José Antonio Gutiérrez Dantón / Lunes 12 de enero de 2015
 

Je tiens à clarifier d’emblée que je considère l’attentat contre les bureaux du journal satirique Charlie-Hebdo à Paris comme une horreur et que je ne crois pas qu’il soit justifiable en quelque circonstance que ce soit, de convertir un journaliste, si douteuse que soit sa qualité professionnelle, en objectif militaire. Cela vaut en France, comme en Colombie ou en Palestine. Je ne m’identifie non plus avec aucun fondamentalisme, ni chrétien, ni juif, ni musulman, ni non plus avec le laïcisme bébête francisé, qui érige la "République" sacrée en déesse. J’apporte ces précisions, qui sont nécessaires puisque les gourous de la haute politique en Europe nous assurent que nous vivons dans une "démocratie exemplaire" avec des "grandes libertés", même si nous savons bien que Big Brother nous surveille et que n’importe quel discours hors cadre toléré se voit durement puni. Mais je ne crois pas qu’une condamnation de l’attentat contre Charlie Hebdo doive entraîner automatiquement qu’on porte aux nues une publication qui est, fondamentalement, un monument d’intolérance, de racisme et d’arrogance coloniale.

Des milliers de personnes, affectées par cet attentat –ce qui est compréhensible -, ont fait circuler des messages disant "Je suis Charlie" comme si ce message était le dernier cri de la défense de la liberté. Eh bien, je ne suis pas Charlie. Je ne m’identifie pas à la représentation dégradante et "caricaturale" qu’il fait du monde islamique, en pleine "Guerre contre le Terrorisme", avec toute la charge raciste et colonialiste que celle-ci comporte. Je ne peux pas voir d’un bon œil cette agression symbolique constante qui va de pair avec une agression physique et réelle, au moyen de bombardements et d’occupations militaires, dans les pays appartenant à cet horizon culturel. Je ne peux pas non plus voir d’un bon œil ces caricatures et ces textes offensants, quand les Arabes font partie des secteurs les plus marginalisés, appauvris et exploités de la société française, qui ont historiquement subi un traitement brutal : je n’oublie pas que c’est à Paris, au début des années 60, que la police a massacré à coup de matraques 200 Algériens qui demandaient la fin de l’occupation française de leur pays, déjà responsable selon les estimations d’un million de morts d’Arabes "barbares". Il ne s’agit pas de caricatures innocentes, œuvres de libre penseurs, mais de messages, produits par les médias de masse (car, bien qu’ayant une posture alternative, Charlie Hebdo appartient bien aux médias de masse), chargés de stéréotypes et de haine, renforçant un discours qui considère les Arabes comme des barbares à contenir, déraciner, contrôler, réprimer, opprimer et exterminer. Des messages dont le but implicite est de justifier les invasions des pays du Moyen-Orient ainsi que les multiples interventions et bombardements orchestrés par l’Occident, dans la défense du nouveau partage impérial. L’acteur espagnol Willy Toledo disait, dans une déclaration polémique – qui ne faisait qu’énoncer une évidence - que "l’Occident tue tous les jours. Sans bruit". Et c’est cela que Charlie et son un humour noir cachent sous forme de satire.

Je n’oublie pas la couverture du N°1099 de Charlie Hebdo, dans lequel on banalisait le massacre de plus de mille Égyptiens par une dictature militaire brutale, qui a la bénédiction de la France et des USA, avec un dessin d’un homme musulman criblé de balles, tandis qu’il essayait de se protéger avec le Coran, avec ce texte : "Tuerie en Égypte. Le Coran c’est de la merde : il n’arrête pas les balles". Certains auront trouvé ça d’amusant. En leur temps, des colons anglais en Terre de Feu (Argentine) trouvaient amusant de poser pour des photographies avec des indigènes qu’ils avaient "chassé", avec de larges sourires, carabine à la main, et avec le pied posé sur cadavre sanguinolent toujours chaud. Plutôt qu’amusante, cette caricature me semble violente et coloniale, un abus de cette liberté de presse occidentale aussi fictive que manipulée. Qu’est-ce qui arriverait si je publiais aujourd’hui journal avec en couverture la phrase : "Tuerie à Paris. Charlie Hebdo, c’est de la merde : ça n’arrête pas les balles") et une caricature du défunt Jean Cabut criblé de balles avec une copie du journal entre les mains ? Bien sûr, ce serait un scandale : la vie d’un Français est sacrée. Celle d’un Égyptien (ou d’un Palestinien, Irakien, Syrien, etc.) c’est du matériau "humoristique". C’est pourquoi je ne suis pas Charlie, puisque la vie de chacun de ces Égyptiens criblés de balles est pour moi aussi sacrée que celle de n’importe quel de ces caricaturistes aujourd’hui assassinés.

Nous connaissons déjà ce deux poids deux mesures : on va avoir droit à des discours de la défense de la liberté de presse de la part des mêmes pays qui, en 1999, ont donné la bénédiction au bombardement de l’OTAN, à Belgrad

qui se sont tus quand Israël a bombardé à Beyrouth la station de TV Al-Manar en 2006, qui taisent les meurtres de journalistes critiques colombiens et palestiniens. Après la belle rhétorique de la liberté, viendra l’action liberticide: plus de maccarthysme au nom de l’ "anti-terrorisme", plus d’interventions coloniales, plus de restrictions à ces "garanties démocratiques" en voie d’extinction, et naturellement, plus de racisme. L’Europe se consume dans une spirale de haine xénophobe, d’islamophobie, d’antisémitisme (les Palestiniens sont de fait des sémites) et cette atmosphère devient de plus en plus irrespirable. Les musulmans sont déjà les juifs de l’Europe du XXIème siècle, et les partis néo-nazis redeviennent respectables 80 ans plus tard, grâce à ce sentiment répugnant. Pour tout cela, malgré la répulsion que provoque en moi l’attentat de Paris, Je ne suis pas Charlie.

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Versión en castellano: Yo no soy Charlie

Versión en inglés:I am not Charlie